La remontée des taux d'intérêt va de plus en plus mettre la pression sur les Etats. Même si l'on pense, comme moi, que la théorie moderne de la monnaie n'est pas morte et qu'au moindre frimas de la conjoncture les banquiers centraux ressortiront l'arme du rachat des obligations souveraines, les dernières semaines ont montré que les marchés financiers avaient de nouveau la soutenabilité des dettes souveraines dans le viseur. Le temps approche où les Etats vont être obligés de ressortir les réformes structurelles du placard. Mais personne n'a la moindre idée de là où commencer. Alors que le Royaume-Uni semble dans les limbes, tentant de se dépêtrer des conséquences du Brexit, c'est l'un des artisans du camp du "leave", Dominic Cummings, qui a été le dernier à conceptualiser une réforme moderne de la fonction publique, faisant la part belle aux start-up d'Etat.
Fruit d'une construction séculaire, centralisé autour de la capitale, producteur de services publics qu'il n'est pas possible de mettre en pause, l'Etat britannique est peut-être celui qui se rapproche le plus de l'Etat français. La pensée de Cummings pose la réforme de la fonction publique comme base à toute politique publique. L'idée est de mettre fin au paradoxe suivant : les ministres sont tenus responsables de ce que font leurs ministères, mais n'ont pas de contrôle sur eux. Pour ce faire, il propose d'accroître la rotation des équipes pour ne conserver que les plus efficaces, d'augmenter les rémunérations pour faire revenir les meilleurs, de mettre en place des "équipes rouges" chargées de défendre le point de vue opposé lors des réunions stratégiques... Il invite surtout à dépasser les organisations administratives existantes pour aller vers des organisations centrées sur des projets.
Une grande organisation ne se transforme pas de l'intérieur
Dominic Cummings a toujours été convaincu que la survie du Royaume-Uni passerait par un investissement accru dans la science et la recherche fondamentale, seule source de productivité à long terme. C'est dans cette vision qu'il avait poussé le concept des Focus Research Organizations (FRO). Ces FRO s'apparentent à des organisations sans but lucratif, avec leur propre budget financé par des fonds publics et privés, leur propre autonomie managériale. Elles sont centrées sur un domaine spécifique avec une durée limitée, avec pour objectif de dépasser la bureaucratie des institutions de recherche publique. Le meilleur exemple était UK Biobank, une base de données génétiques pour plus d'un demi-million de personnes.
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Malgré les critiques initiales fustigeant des dérives par rapport à la "pratique scientifique universitaire standard", elle s'est imposée depuis sa création en 2006 comme l'une des initiatives biomédicales les plus influentes. 28 000 chercheurs agréés de 86 pays ont utilisé ses données pour publier 4600 articles scientifiques et donner naissance à d'innombrables nouvelles start-up. Peu après son départ, le ministère des Finances avait coupé dans les lignes de financement des FRO, empêchant leur déploiement effectif. L'échec de la vision radicale de Dominic Cummings ne doit néanmoins pas masquer l'essentiel.
Transformer une grande organisation de l'intérieur est inévitablement voué à l'échec. Pour transformer radicalement, comme l'a montré Clayton Christensen de Harvard à propos des grandes entreprises, il ne faut pas essayer de remodeler, mais créer une structure nouvelle, séparée de l'organisation initiale, en acceptant qu'elle puisse en être concurrente.
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Il faut des start-up d'Etat, non pas constituées d'une poignée de jeunes diplômés motivés, avec des budgets ridicules (11 millions d'euros à rapporter à 1 476 milliards de dépense publique en France), se battant en permanence pour gratter l'accès aux données, mais dotées d'un périmètre réglementaire, avec une autonomie budgétaire et managériale, capables de créer leurs propres bases de données et systèmes d'information pour interagir avec les usagers. C'est ce modèle d'agences indépendantes qui a été au coeur de la réforme de l'Etat suédois et de son relèvement après la crise de 1990. Dans un marché de l'emploi concurrentiel, de telles entités n'auraient aucun mal à recruter les talents tant leur impact sociétal est évident. La situation budgétaire de la France va nous pousser à faire des choix difficiles. Ne faisons pas l'erreur de considérer les start-up d'Etat comme un gadget.
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