Dans son nouvel album, l'Anglaise révèle son vrai visage, celui d'une femme angoissée et exigeante.
Paris Match. Il s’est passé douze ans entre l’album “Enfants d’hiver”, dont vous signiez des textes, et “Oh ! Pardon tu dormais…”. Vous avez de nouveau ressenti le besoin de vous raconter ?
Jane Birkin. A l’origine, c’est Etienne Daho qui est venu voir la pièce que j’avais écrite [“Oh ! Pardon tu dormais…”] et qui m’a vite dit qu’on pourrait en faire des chansons. Que quelqu’un de la musique soit curieux d’une pièce de théâtre aussi obscure que la mienne était remarquable. Au départ, il envisageait une comédie musicale à une seule personne. Ça me plaisait bien.
Mais ça ne s’est pas fait tout de suite…
Non... parce qu’à chaque fois qu’il m’en parlait, j’étais en train de faire autre chose. Puis Kate est morte, et je n’étais plus disponible pour quoi que ce soit. Puis, petit à petit, j’ai lu les textes de Serge sur scène, avec Michel Piccoli et Hervé Pierre, j’ai sorti le disque “Gainsbourg, le symphonique”. Ce qui ne devait être que deux concerts au Canada s’est transformé en quatre années de tournée. Finalement, Olivier Gluzman, mon manager, est revenu vers Etienne pour savoir si ce projet était toujours d’actualité. Il a dit oui. Mais je ne pouvais pas m’y lancer sans évoquer le moment le plus grave de ma vie.
"Il m'a fallu cinq ans pour écrire sur Kate
"
Deux chansons sont consacrées à la disparition de Kate, “Ces murs épais” et “Cigarettes”, où vous évoquez ce que vous avez vécu le 11 décembre 2013.
J’avais écrit ces textes à Lyon, pendant la tournée “Gainsbourg, le symphonique”, et je les avais conservés au dos de mon agenda. Un soir, à l’hôtel, je tombe alors sur cette pochette de manucure qu’on trouve dans les chambres. Je me suis souvenue des pieds de Kate, de comment elle les soignait. J’ai été si surprise… C’est la personne au monde qui passait le plus de temps pour avoir les pieds aussi doux qu’une joue. Ensuite, j’ai revu ses cheveux plaqués contre son visage à l’institut médico-légal. Il m’a fallu cinq ans pour écrire sur elle. Etienne a trouvé le titre, “Ces murs épais”. Un jour où je suis allée au cimetière pour déposer des roses sauvages sur sa tombe, j’ai déchiré mon bras en essayant de les placer parmi d’autres fleurs. J’avais la main en sang, j’ai envoyé la photo à Etienne, et c’est comme ça qu’on a ajouté l’expression “sauvages roses vengées”.
Ecrire sur la mort de Kate permet de surmonter la douleur ?
Je ne pense pas. Quand j’écoute le disque, “Cigarettes”, je la passe. On ne saura jamais ce qui s’est passé ce jour-là. Le doute sera toujours là.
Vous évoquez dans “Ghosts” tous les morts qui vous entourent. Pour mieux les fuir ?
Non, pour mieux les rendre vivants ! Ces chansons ont une musique entraînante, tu pourrais presque danser dessus jusqu’au moment où tu te rends compte de quoi ça parle. Je crois que c’est ce qu’il fallait faire. Pour vivre avec le manque.
Dans “Max”, vous montrez une autre facette de vous-même : celle de la femme qui s’en va. Qui quitte pour mieux vivre.
On connaît tous la blessure quand quelqu’un vous quitte. C’est noble. Mais quand c’est vous qui partez... Devez-vous ressentir de la culpabilité ? On a peut-être tous connu ça. C’est un sentiment plus compliqué.
Vous avez souvent été cette amoureuse passionnée ?
[Elle rit.] Oui. Je sais à quel point on est marrante et légère au départ, et peut-être on vous a aimée parce que vous étiez un peu originale. Mais ce qui n’est ni original ni léger, c’est votre tronche dans la glace quand quelqu’un rentre à la maison le soir tard. Et que vous commencez à dire : “Le poisson est trop cuit” ou “Pourquoi tu n’as pas téléphoné ?”. Tous ces côtés de la mégère que vous avez tant désiré éviter. Vous pensez que vous camouflez ça très bien, en souriant. Puis tu chopes ton visage dans le miroir et tu vois qu’il est tout tordu. Tu es tellement angoissée que si tu étais la personne qui vient de rentrer, tu ferais marche arrière et tu filerais au café.
Donc, au début, on joue un rôle. Et, après, l’amour s’étiole ?
Pas du tout, on est tout ça. Et on continue à l’être pour ses enfants. C’est juste qu’avec la panique d’imaginer que tu peux perdre la personne tu pues la défaite. Tu suintes cette odeur qui est la raison pour laquelle les amours ne peuvent pas continuer.
Vous êtes souvent tombée dans ce schéma-là ?
Quand j’avais 17 ans et que je vivais avec John Barry. Lorsqu’il revenait à la maison pour écrire ses symphonies, ça devait lui faire tout drôle d’être avec une teen-ager qui voulait savoir où il était allé et s’il avait pensé à elle, qui devenait hystérique, qui griffait ses jambes jusqu’au sang, qui jetait les œufs dans l’évier, qui pleurait la nuit en lui demandant : “Est-ce que tu m’aimes ? Est-ce que tu m’aimeras dans dix ans ? Est-ce qu’on vieillira ensemble ?” Alors, à ce moment-là, il allait dormir sur le divan. Donc, oui, j’ai connu ces situations.
Ça s’est reproduit ?
Heureusement, j’ai su ne pas être addict à une personne. C’est tout de même ça le problème, parce que cela veut dire que vous ne vivez pas pour vous-même, vous ne faites rien dans la journée qui soit intéressant, vous n’avez rien à raconter. Vous vivez par lui, à travers lui. J’ai compris après John Barry que je ne devrais plus agir ainsi. Nous n’aurions pas dû nous marier. Mes parents me l’avaient dit, ils avaient raison. J’avais 17 ans ; lui, plus de 30. Il avait déjà deux enfants, il était un grand coureur. Il était le plus grand compositeur londonien de musiques de film, il allait recevoir cinq Oscars. Ce n’était pas pour se marier avec une fille qui sortait tout juste de l’internat…
Votre rencontre n’était pas passionnelle ?
Je n’ai jamais dit : “Marions-nous, faisons un enfant.” A l’époque, je savais que je ne pourrais pas rester avec lui si on ne se mariait pas. Maman me l’avait dit car elle ne voulait pas que je sois prise pour une fille légère. Donc il a fallu cette union. Surtout, on créait une comédie musicale, dans laquelle je jouais un petit rôle. On était ensemble en permanence. Mais, dès cette comédie musicale terminée, il s’est remis à écrire pour d’autres, pour Nancy Sinatra ou Dieu sait quelle autre bombe.
"Avec Serge, ce n'était pas un coup de foudre. C'était plus intéressant que ça
"
Mais avez-vous été heureuse avec lui ?
On comprend à la lecture de mon journal, ça se voit, que je suis très vite dans une grande solitude. C’est terrible de ne rien partager. C’est en tout cas à ne pas faire.
Avec Serge, c’était l’inverse ?
Serge, ce n’était pas un coup de foudre. C’était plus intéressant que ça. Les choses se sont faites peu à peu. Et j’ai découvert quelqu’un de tellement drôle, de secret et de terriblement timide. C’était une vraie trouvaille. Tout le monde pensait qu’il était dangereux, cynique, cruel. C’était tout le contraire ! [Elle rit.] C’était magnifique à vivre. Je gardais ça secret, c’était bien. [Elle rit.] Il faut toujours protéger les gens qu’on est les seuls à connaître. Même sa beauté… Quand tu as connu un visage pareil, les autres vous semblent fades, même s’il s’agit de celui d’Alain Delon. La beauté de Serge était d’une originalité foudroyante, avec son côté slave, russe. C’était un paquet cadeau.
On entend au fil des chansons que vous avez fait souffrir les hommes…
Il y a un peu de souffrance dans l’air, oui. Mais c’est aussi parce que je veux être juste. Comme disait Serge, en banal bleu, on n’écrit rien. Les nuages, les tempêtes, c’est plus photogénique. C’est très excitant d’écrire des chansons de souffrance… même si on racle dans les souvenirs. Et quand ça plaît aux gens ou qu’ils sont émus, ça fait plaisir.
Vous chantez aussi “Les jeux interdits” auxquels Kate et Charlotte se livraient. Pour mieux dire leur enfance de rêve ?
Oh ! A peu près, oui. J’ai surtout essayé de leur donner un contraste avec la rue de Verneuil. Pendant deux mois d’été, elles avaient une liberté totale, comme moi je l’avais eue avec mon frère et ma sœur. Elles partaient du matin au soir et leur jeu était de tout enterrer au petit cimetière de Cresseveuille, même notre dîner ou notre rôti du dimanche. Kate, qui avait un grand sens de l’équité, voulait que tout le monde soit traité à la même enseigne dans le cimetière. Donc, quand elle trouvait que M. X avait trop de marguerites en porcelaine sur sa tombe alors que Mme Y n’avait rien, elle dispersait un peu partout ces ornements. On a eu la visite du maire pour nous dire que les gens étaient furieux. [Elle rit.] Kate ne savait pas comment les remettre… Je trouve ça tellement drôle, tellement charmant aujourd’hui de les imaginer alors…
Qu’est-ce que Charlotte vous a dit de ces “Jeux interdits” ?
Je crois qu’elle a aimé, parce qu’elle m’a même prêté sa petite Jo pour le clip. Et j’ai ajouté Lou dans l’affaire, parce que, même si à l’époque elle n’était pas encore née, je tenais à ce que toutes mes filles soient dans ce clip.
Serge venait à Cresseveuille ?
Bien sûr ! J’ai imposé, tel un dictateur, ces deux mois d’été en Normandie. Il détestait, ça lui minait le moral. [Elle rit.] Il disait qu’il se sentait six pieds sous terre, là-bas. Et d’après ma mère il regardait sa montre en panique, après le déjeuner, en attendant que les bars ouvrent à Cabourg pour pouvoir se jeter sur un cocktail Marcel Proust le plus vite possible. [Elle rit.] Il partait en taxi ; nous, on suivait dans ma Méhari. On traversait le Grand Hôtel pour nous rendre au Club Mickey, mais lui s’arrêtait au bar. [Elle rit.] Tout cela était très gai.
Charlotte réalise un film sur vous, en ce moment. Est-il terminé ?
J’espère que non, parce que c’est tellement joyeux de participer à ce projet ! Je n’avais jamais imaginé qu’elle soit si curieuse de moi. Je savais la grande place que Serge avait dans sa vie, ainsi que le deuil et la douleur qu’elle a vécus. Mais je ne pensais pas qu’elle voulait savoir tant de choses de moi. Elle a passé beaucoup de temps sur ses recherches, cela a créé une vraie complicité entre nous et ça m’a vraiment touchée. C’était aussi une excuse pour être ensemble, parce que nous avions été séparées pendant six ans. Elle avait eu besoin de partir à New York après la mort de Kate et je l’ai très bien compris. Mais je suis tombée malade, je n’ai pas pu aller la voir.
Vous lui dites des choses que vous n’aviez jamais racontées ?
J’espère. [Elle rit.] Je n’ai pas à avoir de pudeur avec elle. Et elle dit autant d’elle que je dis de moi. Nous avions des conversations dans les deux sens, mais c’est à elle de voir ce qu’elle a et ce qui lui manque. Je suis disponible pour quelques questions supplémentaires…
Dans “A marée haute”, on comprend que vous avez une image très dure de vous-même : “Si tu ne m’aimes plus, je ne m’aime plus non plus.”
Ça me semble tellement juste ! Quand on est amoureux, on est deux. C’est un état que je n’ai pas connu depuis fort longtemps. Pour ce disque, je me suis replongée dedans…
Il vous manque, cet état-là ?
Non, il me terrorise. Je ne sais pas si je pourrais tomber amoureuse aujourd’hui. J’ai des amis avec qui je vais au cinéma, au théâtre, mais c’est plus une forme de camaraderie. Je suis plus “meilleure amie” qu’amoureuse. Après, on ne peut pas affirmer de choses définitives, mais je ne peux pas vraiment imaginer que ça m’arrive. En ce moment, j’admire beaucoup Ruth Bader Ginsburg, Maude Barlow, cette Canadienne qui travaille pour l’Onu sur la question de l’eau, ou l’écrivaine Joan Didion. Je tombe amoureuse d’elles, de leur originalité, parce qu’elles sont si curieuses des autres. Je trouve que c’est la chose la plus attirante qui soit. Il y aura peut-être des hommes, un jour… Mais pour le moment, c’est ça.
Il y a longtemps, vous chantiez “l’amour physique est sans issue”…
C’est une chanson de Serge. Mais oui, je l’ai chantée… Dans “Ta sentinelle”, j’évoque le coup de foudre. Qui est tragique, parce qu’il ne peut pas durer. Dans les yeux de cette personne, je suis quelqu’un, je suis le pivot de passion. Et maintenant je suis n’importe qui.
Vous comprenez les couples qui vivent de longues relations ?
Oui, ces couples âgés qu’on voit dans la rue se tenir par la main. Et qu’on regarde avec tendresse en se disant : “Mais comment ils ont fait ?” Il faut un amour exceptionnel pour ça, comprendre que la façon d’aimer la plus généreuse, c’est de vouloir le bonheur de l’autre. Et admettre que cette personne ne t’appartient pas. Ce n’est pas une chose que j’ai su faire. Parce que je n’ai jamais accepté le compromis. Je suis partie sur des coups de tête, j’ai fait d’abord et j’ai réfléchi ensuite. J’ai souvent pensé que c’était plus vert sur la colline d’en face. Mais je me suis trompée. Je vois ma petite sœur et son mari ensemble depuis quarante ans. Et je sais quel personnage elle est, son comportement, sa bonne composition, trouvant tout drôle, fascinant, intéressant. Quand je lui dis : “Ça va être chiant de vous retrouver dans un petit appartement”, elle me répond : “Non, pas du tout.” Son mari a décidé de la couleur sur les murs. Il a décidé de peindre le salon en “primrose yellow”. Oh my God ! Mais c’est lui qui a choisi et elle en est ravie, elle n’a pas agi en douce. Moi, je n’aurais jamais laissé un homme choisir la couleur de la peinture du mur. [Elle rit.]
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L’amour n’a-t-il été pour vous que désillusions ?
J’y ai cru à chaque fois. On ne peut pas s’embarquer sur des choses passionnelles en réfléchissant au jour d’après. Peut-être devrait-on. Mais moi, je n’ai pas pu. [Elle rit.] J’aimerais dire “c’est mon côté aventureuse”, mais ce n’est même pas le cas. Pour mes maisons, par exemple, j’ai tout fait pour avoir celle-ci ou celle-là, et sur un coup de tête j’ai vendu. Et après je me suis lamentée dans mon petit appartement, prise en sandwich avec des gens dessus et dessous. Ma sœur a cette bonne nature d’être satisfaite. Moi, je suis en permanence insatisfaite.
Avec “Pas d’accord”, vous allez loin dans le récit de votre intimité : “Pas d’accord pour les nuits de baise/A filer dans la salle de bains/Se toucher comme une ado triste/Et chialer jusqu’au lendemain.”
Ça, c’est moi. Mais ce qui est intéressant, c’est de raconter l’intime. J’ai une attirance folle pour Danton depuis que j’ai lu qu’il avait déterré sa femme pour coucher avec elle pendant quelques jours. Parce qu’il ne supportait pas l’idée qu’elle soit morte sans avoir pu la voir une dernière fois. C’est dément ! J’aime les détails dans les biographies historiques, ce sont eux qui vous rendent des personnages touchants. Et c’est souvent dans ces instants que l’on se dit : “Ah ! Oui, moi aussi j’ai ressenti ça.”
Vous écrivez aussi cela par rapport au mouvement #MeToo ?
C’est une question que je redoute un peu, n’ayant jamais vécu de souffrances personnelles, donc je ne peux que souhaiter l’épanouissement des filles.
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Mais vous avez été un modèle de libération de la femme ?
Je ne crois pas. On était tellement habitué que quelqu’un te donne une tape sur les fesses que c’était pratiquement comme dire bonjour. Maintenant, je me rends compte que ça ne se fait pas. [Elle rit.] Quand je partais en Italie avec ma copine Gabrielle, on était super fières de se faire siffler. Ça nous remontait le moral. Maintenant, les garçons se mettent la main devant la bouche. Je vois aussi que désormais on se fiche au cinéma de savoir si le réalisateur est un homme ou une femme, alors que pendant longtemps il n’y a eu qu’Agnès Varda. C’est réjouissant. Mais je suis convaincue que pour que les choses soient équilibrées, il faut que les salaires des hommes et des femmes soient les mêmes.
Pour un concert, vous touchez le même cachet qu’un homme ?
Je n’en ai aucune idée. [Elle rit.]
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